Pratiques rituelles
Travestissements sexuels rituels des chamanes tchouktches Le travestissement rituel est une tradition observée dans bien des peuples. On en vient même à parler de "bisexualité rituelle". Pour illustrer ce propos, et bien que sa vision du mimétisme féminin soit quelque peu réducteur, voici un extrait du "Rameau d'Or", par James Georges Frazer, à propos des traditions rituelles Tchouktches. "Chez les Chukchees du nord-est de l'Asie, il y a pareillement des shamans ou hommes-médecine qui se rendent autant que possible semblables aux femmes et qui sont appelés à cette vocation, croit-on, par des esprits dans un rêve. Cet appel vient d'ordinaire à l'époque de la première jeunesse où l'inspiration shamanique, comme on l'appelle, commence à se manifester. Mais cet appel est fort redouté par les jeunes adeptes et certains d'entre eux préfèrent la mort à l'obéissance. Il y a cependant différents stades ou degrés de transformation. Dans le premier stade, l'homme singe seulement la femme dans la façon d'arranger et de tresser ses cheveux. Dans le second, il revêt des vêtements féminins; dans le troisième, il adopte autant que possible les caractéristiques de l'autre sexe. Un jeune homme qui passe par cette dernière transformation abandonne toutes les occupations et toutes les manières des hommes. Il jette bien loin la carabine et la lance, le lasso du chasseur de rennes et le harpon du chasseur de phoques; et il prend à la place l'aiguille. Il apprend vite à s'en servir, parce que les esprits lui donnent leur aide. Sa prononciation même change pour devenir féminine. Son corps en même temps se modifie sinon dans son apparence extérieure, du moins dans ses facultés et ses forces. Il perd la force masculine, l'agilité des pieds, l'endurance dans la lutte et il prend au contraire la débilité et la faiblesse d'une femme. Son caractère même subit des changements. Son courage brutal, son esprit combatif disparaissent; il devient réservé et timide devant les étrangers, il aime à faire la conversation et à caresser de petits enfants. En un mot, il devient une femme avec l'apparence d'un homme et, comme telle, il est pris pour épouse par un autre homme, avec qui il vit régulièrement en ménage. On attribue des pouvoirs extraordinaires à ces shamans transformés. Ils sont censés jouir de la protection spéciale des esprits qui jouent à leur égard le rôle de maris surnaturels. Aussi sont-ils très redoutés, même par leurs collègues qui restent de simples hommes, ils excellent aussi dans toutes les branches de la magie, y compris le ventriloquisme." Extrait du "Rameau d'Or" par James Georges Frazer
Cette transformation dictée par les Esprits n'est donc certainement pas anodine, puisque, bien qu'elle confère d'avantage de pouvoirs au dit chamane, il s'agit là de tout un choix de vie, puisqu'il s'engage à vivre de manière féminine en continue, modifiant tous les liens existants qu'il aurait pu avoir. Ce genre de traditions s'observent aussi dans bien d'autres peuples, comme chez les Dayak indonésiens, par exemple, chez lesquelles les "manang bali" (appellation traditionnelle de ces chamanes dont le nom signifie à juste titre "homme-médecine changé") pratiquent également des activités féminines en se travestissant en femmes. On retrouve aussi ce genre de pratiques chez les Kamchadales, les Esquimaux asiatiques, et les Koryaks en Asie septentrionale, chez les Arapaho ou encore les Araucan en Amérique du Sud. Les cosmologies du chamanisme et du sacrifice "Les sociétés amérindiennes contemporaines conçoivent l’Univers comme étant constitué de domaines distincts et complémentaires – céleste, terrestre, aquatique, chtonien – peuplés d’entités humaines et non-humaines qui s’influencent mutuellement en diverses circonstances. Ces domaines, les chamanes les fréquentent à volonté et y puisent un savoir et des pouvoirs qu’ils traduisent en paroles et en actes au nom des intérêts humains. Les participants ont présenté différentes conceptions de ces cosmologies en les situant au coeur d’une interprétation de la pratique chamanique et du sacrifice. Parmi les thèmes discutés par les participants, mentionnons l’ethnoastronomie et les conceptions du corps humain. La prééminence du soleil, de la lune et de certaines constellations dans les cosmologies amérindiennes constitue un axe d’interprétation fort riche de certains objets ainsi que des pratiques sacrificielles, corporelles, architecturales et chamaniques. Ainsi, les Tupinamba du XVIe siècle désignaient par un même terme, Maïré, qui signifie « lune », le sacrifié et son bourreau. Dans le Mexique ancien, le coeur et le sang des sacrifiés étaient associés au mouvement des astres et à la fertilité. Ou encore, le lien établi par les sociétés précolombiennes et plusieurs sociétés contemporaines entre les détenteurs du pouvoir terrestre et les astres solaire et lunaire. Le corps humain, que les Amérindiens conçoivent comme un microcosme, constitue un autre champ d’analyse du chamanisme et du sacrifice humain. L’association métaphorique entre chamanisme et processus digestif permet d’interpréter plusieurs dimensions de la pratique en Amazonie, par exemple la cure par succion ou encore l’incorporation par le chamane de substances et d’esprits. L’analyse des peintures faciales des Jivaro nous ramène aux liens existant entre les vivants, les ancêtres et la fertilité alors que dans le Mexique ancien, les sacrifices humains réactualisaient le sacrifice initial des dieux. La chair consommée du sacrifié se transformait en celle des dieux. L’étude archéologique des traces de manipulations retrouvées sur les ossements humains enrichit notre compréhension des descriptions iconographiques et historiques du sacrifice humain. " Extrait du colloque "Chamanisme et sacrifice" par Robert R. Crépeau |